Festival de Cannes 2024 : "Vingt dieux", premier film affiné - Rolling Stone (2024)

Présenté en Compétition, le second long-métrage de la cinéaste française Coralie Fargeat, The Substance, nous a retourné la tête… et le ventre

Et si Cronenberg c’était emparé de Black Mirror ? Au-delà de la référence, forcément facile, lorsque l’on relie le genre du body horror au réalisateur culte – également à Cannes cette année, avec Les LinceulsThe Substance de Coralie Fargeat est, après réflexions, un reset total. Dans ce jargon teinté d’hémoglobine, la cinéaste, découverte avec un premier film ultra-violent et rugueux sur le rape & revenge (Revenge, sorti en salles courant 2018), s’immisce en y allant avec les doigts. Ce qu’il s’est passé sur la Croisette, ce dimanche 19 mai au soir, lorsque le film a été présenté en projection officielle, restera gravé dans nos mémoires ! Il nous manquait ce choc, cet ovni inclassable, presque, qui ferait couler l’encre comme le sang. Par litres.

Comparaison facile, mais The Substance pourrait faire pâlir un certain Titane, de Julia Ducourneau – autre choc cannois, qui a remporté la Palme d’Or en 2021. A l’époque de la remise de son prix, Ducourneau déclarait, avec force : «Merci d’avoir fait entrer les monstres.» Si elle savait ce qu’elle avait provoqué. Dans nos rêves les plus fous, le film de Coralie Fargeat serait sacré également, comme une conséquence directe de ce revirement soudain en faveur du film de genre, pour notre plus grand plaisir. The Substance est un film direct et abrupt, au synopsis qui peut paraître, au premier abord, classique. Il cache en réalité bien son jeu. Attention: nous allons dévoiler quelques éléments du synopsis au fil de cette critique.

La meilleure version de nous-même… ou pas

Elisabeth Sparkle, star vieillissante d’un show d’aérobic complètement ringard, incarnée par la géniale Demi Moore (métamorphosée) est en pleine chute libre. Son show ne fonctionne plus, son image se terne, peu à peu, au regard d’une industrie aux dents longues, phobique de la vieillesse et qui dévore ses stars à l’instant où elles sortent de la conformité. Elisabeth, qui se retrouve du jour au lendemain licenciée, croise la route d’un jeune infirmer, à la peau de porcelaine et les yeux d’un bleu éclatant. Celui-ci glisse, dans sa poche, un petit papier avec écrit un numéro de téléphone et une phrase, qui fera écho tout au long du film, comme sonne le glas d’un funeste destin : «ça a changé ma vie.»

Elisabeth est invitée à tester ce produit dit «révolutionnaire» : The Substance. Un sérum vert fluo – élément kitsch à souhait – à s’auto-injecter qui provoque son… auto-naissance (on vous laisse découvrir par quel moyen). Ou comment créer sa propre version d’elle-même, «plus jeune, plus belle, plus parfaite.»Cette nouvelle Elisabeth, incarnée par la magnétique Margaret Qualley (également à l’affiche de Kinds of Kindness, de Yorgos Lanthimos), se baptiste Sue. Mais la Substance implique une donnée à respecter à la lettre, sous peine de conséquences dévastatrices : le corps dit «matrice» (Elisabeth) et «l’autre» (Sue) doivent permuter une semaine sur deux. Lorsque l’une d’elle est en «sommeil», il faut la nourrir de ce liquide blanchâtre visqueux, soigneusem*nt livré avec le reste. C’est ainsi que démarre réellement le film de Fargeat, qui s’éclate dès la première minute (et nous aussi) en installant un univers hyper esthétisant et clinique, dans un Los Angeles baigné de soleil. Mais dans la lumière, l’horreur est d’autant plus visible.

Au fur-et-à-mesure, Sue réussi là où Elisabeth échoue. Débute un combat interne complètement barré, comme un serpent qui se mord la queue, brassant les thèmes de la toxicité dans le monde du showbusiness et de l’âgisme, sujet tabou et actuel à Hollywood. Coralie Fargeat tient son film sur toutes les coutures : le montage, au cordeau, sert une esthétique léchée et cadrée souvent au millimètre près. On ne manque pas un grain , une goutte de fluide, s’écoulant sur la peau, enveloppe maudite d’un esprit aliéné. Tout, dans The Substance, malgré sa longueur (2h20), maintient le spectateur en haleine.

Si le film prend son temps en alternant les quotidiens d’Elisabeth et Sue, il fait monter une pression jusqu’au bouillonnement. On sent parvenir le cataclysme sous nos yeux, comme la lente descente aux enfers, implacable, d’une femme en éternelle quête de reconnaissance et en proie au regard des autres. Cette vision féministe et radicale sur l’horreur liée au corps se calque dans ce qui pourrait être le film le plus gore jamais projeté à Cannes ; tellement que ce parti pris devient peu à peu un élément cathartique pour le public, qui jubile face à cette surenchère visuelle. Fargeat filme les conséquences, fatales, de cette expérience chimique irréaliste qui nous rappelle que nous sommes bel et bien devant une fiction. Retour à la réalité : si The Substance peut repartir bredouille du festival (tout peut arriver !), il n’en demeure pas moins notre Palme à nous, qu’on observe, qu’on ingère, qu’on absorbe avec un plaisir non dissimulé.

The Substance, réalisé par Coralie Fargeat, avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid… En salles prochainement (via Metropolitan FilmExport)

Samuel Regnard

Festival de Cannes 2024 : "Vingt dieux", premier film affiné - Rolling Stone (2024)
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